Jeudi 27 octobre 2011 à 0:44
La scène se passe dans un salon funéraire, il est tard, quelques personnes sont toujours là mais ils sont sur le point de partir. Lalie est assise sur une chaise qu’elle a tirée près du cercueil où repose sa mère. Elle est cernée et a les traits tirés : la journée a été longue.
LALIE : Bon, enfin, j’vais pouvoir te parler deux minutes. Elle soupire. Je suis tannée, la journée est tellement longue! Depuis à matin que j’ai hâte de pouvoir te parler seule à seule pis là je sais même pas quoi te dire. Silence. Je dois t’avouer que j’ai d’la misère, t’es tellement… pas pareille. Tsé, ça fait une coupe de semaines que t’es aussi blanche pis aussi maigre mais on dirait que je le réalise juste maintenant. Ils t’ont mis d’la colle sur la bouche, pour pas qu’elle s’ouvre j’imagine, c’est pas bein beau. Silence. Je suis désolée m’man, j’aurais voulu qu’ils te mettent ta robe préférée, mais t’es trop maigre, ça aurait été laid. J’en ai pris une autre et elle te fait bien. Elle se retourne et voit quelqu’un entrer. Ha non, encore quelqu’un? Il comprend pas que ça ferme dans vingt minutes? Bon, j’vais faire ça vite, j’vais en profiter pendant qu’il jase avec les autres. T’as vu tout le monde qui sont venus aujourd’hui? Du monde d’la job, des vieux amis que je connaissais pas, d’la famille qu’on voit juste à Noël… Ouain, je suis sûr que t’es contente. Moi je t’avoue que là, ça commence à me taper sur les nerfs pis que j’ai juste hâte de partir. Tsé, au début, j’étais bein contente, c’était quasiment réconfortant, pis j’étais soulagée parce que j’avais peur d’avoir tout organisé ça pour rien. Mais là, bein sûr, ils viennent tous me voir parce que je suis ta fille. Ils me racontent des anecdotes pas intéressantes sur toi, pis ils me regardent, plein de pitié, «mes sympathies», qu’ils disent, «pauvre petite chouette, perdre sa mère à 20 ans», qu’ils disent. Silence. Dans l’fond, je l’sais qu’ils s’en calissent. Silence. J’sais qu’ils sont hypocrites pis que demain ils auront tout oublié. Plus ça va, plus j’les haïs, m’man, y’en a que j’ai vraiment l’impression qu’ils sont venus ici pour le café dégueulasse et les p’tites sandwichs pas d’croûte. Pis là ils viennent, plein de miettes sur leur habit, ils pensent me consoler, ils me serrent dans leur bras, ils osent me dire qu’ils me comprennent pis qu’ils vont être là, c’toute d’la bullshit! J’lis plein de choses dans leurs regards, surtout de la pitié, ça me dégoute, si tu savais. J’en veux pas d’leur pitié, en fait j’veux rien d’eux! Le pire, je pense que c’était ton ancien boss… J’me rappelle pu de son nom… Mais un gros cave, t’as entendu ce qu’il m’a dit? Ça avait juste pas rapport. Je l’aurais frappé maman, surtout après tout ce qu’il t’a fait, pis il ose venir ici me dire que ça le rend triste! J’aurais dû t’enterrer dans la cours pis l’dire à personne, ça aurait été plus simple j’pense. J’aurais pas eu besoin de supporter toutes leurs poignées de mains sales et leurs becs plein de rouge-à-lèvre. Hey, un peu plus pis tante Danielle me faisait la passe de «t’as don bein grandi!», la connasse, elle elle est bein contente, m’man, t’aurais pas dû y laisser ton cash, elle attendait juste ça, ton esti de sœur, ça paraissait. Était toute habillée de Coco Chanel noir, évidemment, en fait sont tous habillés en noir, comme si ça allait vraiment changer quelque chose, comme si t’allais préférer ça. Soupire. Ils sont tellement ridicules, avec leurs phrases déjà faites et leur malaise évident. Le pire, c’est que demain, eux autres, ils vont aller travailler, ils vont aller au resto en famille, peut-être au cinéma, ils vont rire! Moi demain, j’enterre ma mère. J’te verrai pu jamais pis j’m’en vais te mettre dans un trou où tu vas t’faire bouffer par des vers. Ils peuvent pas comprendre ça, non, y’auront beau dire ce qu’ils veulent, ils comprendront pas. Silence. Ha pis, faut j’te dise, maman, demain je vais aller au cimetière pour t’enterrer pis… c’est tout. J’veux dire, j’y retournerai pu, j’irai jamais te voir. Je serais pas capable. Je me sens déjà mal d’y aller une fois… Voir ton nom inscrit sur une pierre tombale... Je suis désolée, maman, j’voudrais bein faire graver un affaire comme «mère parfaite partie trop vite», ou «femme extraordinaire méritant d’être immortelle», mais on a pas d’argent, tu l’sais que papa y rapporte pas grand-chose, pogné dans son asile… En passant, y’ont pas voulu le laisser sortir, m’man, mais de toute façon, depuis qu’il a appris que t’étais morte, y’a pété une coche pis je pense que yé encore plus fou qu’avant. Anyway, c’est pas trop grave, je pense que c’est mieux de même, papa yé comme moi et il aime pas trop ça voir du monde. Silence. Bon bein, je vais devoir te laisser m’man, le monsieur de tantôt veut ma place. Encore un autre que je connais pas. De toute façon j’y allais bientôt, je suis tellement fatiguée. À demain, maman... À demain.
monologue écrit pour mon cours de français
+ arbre dans de ma cours